Texte de Cyrille Fleischman



François SZULMAN figure au " Benezit " entre deux peintres dont le nom commence par " SZ" parce que l'ordre alphabétique manque de poésie. Sa place magique, ce serait plutôt entre Bonnard (Pierre) et Van Gogh (Vincent).
C'est comme les sept merveilles du monde qu'il faudrait revoir. Dans la liste secrète de François SZULMAN, je ne serais pas étonné qu'il y ait, juste avant les jardins suspendus de Babylone, le quartier de Belleville à Paris. Parce que c'est là qu'il est né un jour de 1931. Et que toute histoire est une histoire d'enfance.
C'était alors un temps ou dans les premiers jours d'école, les enfants parlaient encore yiddish. Et dès qu'ils revenaient à la maison, c'était à eux d'apprendre le français aux parents.
Les parents, eux, entre penser à construire un monde meilleur et mal gagner leur vie, n'avaient pas le temps ni la patience de faire trop de grammaire. Encore moins d'aller au musée pour rêver. François SZULMAN rêva pour eux.
Mais l'adulte a gardé ce monde juif, populaire, chaleureux, difficile, au fond du cœur. Qui veut le connaître doit lire ou relire ces "Juifs de Belleville", de Benjamin SCHLEVIN, traduits du yiddish en français, qu'un jour François m'a prêté en me disant : " tu sais, il faudra me le rendre, ce livre, j'y tiens!" et que je ne lui ai jamais rendu.
Il faudrait aussi parler de la guerre, de la rafle du 16 juillet 1942, à laquelle François SZULMAN échappa au dernier instant, des années où l'on se cachait, mais pas pour jouer. Il faudrait parler de tant de choses terribles, de tant de détresses s'abattant sur les millions de " Job de notre temps " pour reprendre le nom d'une de ses toiles hors sourire, avant qu'à nouveau l'espoir reprenne le devant.
De son long passage dans le monde des ateliers de vêtements, il faudrait dire aussi un mot. De ce passé, dans un environnement si éloigne de l'univers de la peinture avant qu'il puisse enfin donner tout son temps à l'art... Mais il vaut mieux jeter un œil sur la toile qu'il garde précieusement pour lui, et qui s'appelle " l'Atelier " pour réaliser que même là, il a imposé son regard aux choses pour en faire un décor de vie.
Arrêtons ici.
Les biographies sont à fuir quand il s'agit de magie.
Simplement, il suffit de se souvenir de certains après-midi d'hiver, quand il commence à faire sombre. Quand on se dit : " tiens, il faut allumer la lumière ! ". Et puis penser que c' est ce que François SZULMAN fait pour nous : il allume la lumière, il détaille des campagnes plus souriantes que des campagnes, des maisons plus claires que des maisons, des objets plus nets que des objets. Ainsi, quel que soit l'endroit où il pose son chevalet, quel que soit le moment, il reste cet enfant juif, poète et rêveur, qui, sur un monde risquant à tout instant de s'assombrir, allume sa propre lumière

CYRILLE FLEISCHMAN

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