Texte de Roger Ikor


Au commencement, était la lumière...
La lumière ou la couleur ? Au premier choc que produit sur vous la première toile de François SZULMAN, vous vous interrogez : lumière d'abord ? Ou d'abord couleur ? Les grands ciels nus vous assaillent, tantôt crayeux, tantôt bitumineux ; mais aussitôt après ils reculent, et les maisons et les arbres s'emparent de vous, avec leurs cuivres et leurs bronzes étincelants, avec les jaunes paille giclant sur les verts crus et les bleus marins, pendant qu'un bout de vermillon se met à hurler par-là. A ce moment, vous entendez une voix qui grommelle près de vous, inquiète et ravie : "Je suis culotté, quand même, pour les couleurs!... " C'est celle du peintre, que vous aviez oublié tant la toile vous tenait ; mais il est là, et il a peur, tout en étant parfaitement sûr de lui, et tout prêt à remettre ça, et tant pis si le monde n'est pas content...
Alors lumière ? Couleur ? Les deux sont intimement liées, rigoureusement inséparables, inanalysables sans destruction. Comme dans un vitrail, comme dans des émaux. Oui, c' est cela : des émaux. A moi qui ignore toute la technique de la peinture, et des jugements sur la peinture, à moi qui me contente d'aimer ou de n'aimer pas avec mes yeux et mon cœur, les toiles de SZULMAN, j'allais dire ses images, se pressentent exactement comme des émaux dans la profondeur desquels la lumière descend et se joue. D'autres, plus compétents diront comment le peintre obtient cette impression, et quel rôle jouent par exemple les petites ciselures dans l'épaisseur de la pâte. Pour moi, je prétendrai seulement que SZULMAN goûte le monde avec ses yeux, sensuellement et globalement, comme un cuisinier ses sauces avec la langue.
... Un peu de temps a passé : l'intellect revient. Et je m'aperçois, que ces œuvres, si minutieuses dans le détail qu'elles peuvent poser a la naïveté, sont en réalité construites de main de maître et obéissent à de maîtres calculs. Tant il est vrai qu'aucune œuvre de qualité, en aucun domaine, ne saurait échapper à la pleine conscience de soi, à la réflexion. Ainsi La Fontaine...
Non, je ne m'égare pas. SZULMAN n'est pas plus "naïf" que La Fontaine. Trouvera-t-on saugrenu que je voie chacun de ses tableaux comme une scène, sinon comme une fable? Avec un sens - une morale, comme on dit. Il n'y a presque pas d'hommes dans ces vues, rien que, ça et là, quelques silhouettes en faire-valoir. Je me suis interrogé à ce propos. Je crois en définitive que SZULMAN fait parler les maisons, les bateaux et les arbres à la place des hommes ; comme La Fontaine, parfaitement, fait des animaux. Parce que ce truchement lui est le plus commode pour témoigner, peut-être, sous la joie, combien les êtres humains lui paraissent redoutables dans leur beauté, mais aussi dans leur vertige de mort.

ROGER IKOR

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